: : : Santé : : Entraînement (se dépasser)

L'entraînement (terme volontairement emprunté au monde du sport) est généralement appelé " répétition " par les musiciens et ce n'est pas pour rien.

Ici, nous allons nous attacher à une caractéristique fondamentale du cerveau humain: la capacité à acquérir des réflexes. Il s'agit en fait d'une capacité qui est loin d'être spécifiquement humaine, mais l'homme est certainement l'espèce animale la plus capable dans ce domaine. La partie du cerveau ici sollicitée est vulgairement appelée le " cerveau reptilien " par les biologistes, et se situe à l'arrière du crâne, près de la nuque (de la moelle épinière). Les entomologistes (les biologistes spécialisés dans l'étude des insectes) ont démontrés, il n'y a pas si longtemps, par des expériences et études comportementales, que les insectes les plus intelligents (scarabées, abeilles, etc.) sont tout à fait capables d'acquérir des réflexes et donc, même eux, de se " dépasser " physiquement (j'entends sur le plan de la dextérité et non de la force et de l'endurance, sujet plus longuement abordé dans les autres rubriques).

La notion de " dépassement " est elle-même sujette à caution, tant elle dépend de la relation d'un individu à son environnement. Une prise de réflexes inadéquats et involontaires, est généralement considérée à juste titre comme une mauvaise habitude, encombrante et stérile, qui nécessite des efforts pour s'en défaire ou la corriger.

C'est pourquoi, le premier point sur lequel je veux insister, est la nécessité d'une grande précaution dans le choix des réflexes à acquérir et l'attention toute particulière qu'il faut apporter à cette activité pour être vraiment efficace.

Au sujet de l'attention, je conseille vivement de s'interrompre dès que l'on sent ou entend des imperfections dans son jeu, pour éviter qu'elles ne soies assimilées comme réflexes, car il faudra le même temps pour s'en débarrasser avant de tout recommencer à zéro (ce qui implique trois fois plus de travail). C'est pourquoi il est plus prudent de commencer un nouvel exercice lentement, pour être sûr de le réaliser correctement. Un exercice acquis parfaitement, c'est-à-dire exécuté " sans y penser " (c'est ce qui définit un réflexe acquis), à une faible vitesse, sera très facilement et rapidement exécuté en vitesse plus rapide (c'est pourquoi jouer lentement n'est pas tellement plus facile). C'est un peu un syndrome de débutant que de vouloir faire des choses compliquées et rapides de but en blanc, motivé par l'impatience et inspiré par l'écoute de musiciens virtuoses. L'humilité est la première qualité à acquérir pour pouvoir progresser, c'est une évidence. Au contraire, plus vous isolerez des concepts simples et les répéterez en boucle (c'est ce qu'on appelle vulgairement faire des " exercices "), plus vous progresserez vite. A ce titre, je déconseille le jeu en imitation mécanique, à partir de partitions de relevés de musiciens virtuoses, et en plus du fait qu'il faut arriver à devenir créatif soi-même pour devenir un véritable artiste (et non un pur technicien qui se contente d'appliquer des recettes faites par d'autres) et que ces compositions témoignent de la création et de la personnalité de leurs auteurs, pas de la votre. Je préconise par contre l'usage et l'étude des nombreuses méthodes de percussion et batterie présentant des exercices, qui constituent une sorte de vocabulaire à composer soi-même.

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Pour ce qui concerne le choix des réflexes à acquérir, la nécessité d'une théorisation forte et solide, appuyée par la logique et des connaissances culturelles, est plus que conseillée. Même s'il est intéressant de pratiquer la musique en autodidacte, il faut déjà avoir des bases théoriques solides pour le faire. Pour mon cas personnel, j'étais mélomane bien avant de commencer à pratiquer les percussions et pouvais m'appuyer sur mes connaissances en composition picturale (très similaire à la composition musicale) et les mathématiques, pour ne pas m'égarer totalement, à mes débuts. De plus, je côtoyais des musiciens classiques avec lesquels je pouvais confronter ma vision personnelle des choses. Ce n'est que plus tard, grâce aux livres (partitions, méthodes, Histoire de la musique, magazines spécialisés, etc.), disques, jeu en groupe avec transmission orale du savoir, concerts et vidéos, que j'ai pu consolider mes connaissances théoriques et culturelles. Un travail de rédaction et d'analyse quasi quotidien de ma propre pratique, m'a aussi renforcé sur ce point. J'encourage tout musicien à faire de même, en s'engageant dans une pratique musicale exigeante aussi bien physiquement que mentalement (voir mon texte philosophique), et de développer son esprit critique en se défiant des idolâtries, dogmatismes et sectarismes, malheureusement souvent présents dans les systèmes scolaires, de par leur structure hiérarchique lourde et pesante. Personnellement j'ai toujours refusé de rentrer dans une école de musique, car les écoles de peinture m'avaient suffisamment déçues et tous les échos qui me parvenaient des écoles de musiques en France (par les élèves ou les partitions étudiées), ne me disaient rien qui vaille.

Mais revenons à nos moutons. La chose la plus importante à comprendre en matière d'acquisition de réflexes, est qu'il n'y a rien de moins naturel que la régularité et la répétition pour un corps humain (de même que la ligne droite, en dessin à main levée). C'est pourquoi la régularité métronomique est un modèle idéal inaccessible en pratique, et qui manifeste donc un esprit de discipline et un engagement esthétique très forts. C'est une fois de plus l'attitude " zen " qui prévaut en matière de pratique des percussions. A ce titre, je tiens à mettre l'accent sur le fait que, contrairement aux idées reçues, il est bien plus difficile pour un percussionniste de tenir un rythme et une intensité réguliers, que pour n'importe quel autre instrumentiste, et encore plus à la batterie (à cause de l'usage des baguettes et pédales avec battes). En effet, la précision et le travail nécessaire y est bien plus grand. Pensez, qu'un geste de frappe de batteur peut faire intervenir tout le bras et avoir facilement une amplitude de plus d'un mètre, alors qu'un pianiste, un saxophoniste ou un guitariste décolle rarement ses doigts à plus de quelques centimètres de son instrument. La pratique percussive montre ici encore des points communs évidents avec les arts martiaux, et notamment, le maniement du sabre.

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A ce propos, je n'ai appris que récemment que je pratiquais depuis plusieurs années déjà une méthode ancestrale utilisée par les moines " shaolins " (inventeurs du " kung-fu ", premier art martial connu, qui s'inspire notamment des mouvements des animaux, ce qui, par cette qualité de représentation, en fait bien un art à part entière) pour améliorer leur entraînement et l'acquisition de leurs réflexes. Cette méthode consiste à s'entraîner à jeun, au réveil, entre une et deux heures, avant de manger, car c'est en effet là que l'esprit est le plus frais, et donc le plus à même de se concentrer. De plus la prise d'un repas entraînerait un travail digestif qui rentrerait en concurrence avec le travail de l'entraînement physique et mental. J'ai pu constater de manière systématique cette différence de qualité de travail, et cette méthode un peu " spartiate ", m'a permis de réussir très vite et facilement des choses qu'il m'aurait été impossible de réaliser dans d'autres conditions.

Le pire serait de répéter juste après un repas copieux, avant de se coucher. Dans un tel état de déconcentration, la prise de mauvais réflexes, indésirables, serait presque inévitable. Mieux vaut s'abstenir totalement de répétition, dans ce cas. C'est une fois de plus adopter alors une attitude zen, qui consiste à penser que l'inaction est parfois préférable à l'action. Il s'agit du concept vulgairement appelé " contre-productivité ", par les occidentaux. On comprend assez facilement à quel point ce type d'attitude s'accorde mal avec nos sociétés régentées et contrôlées par des systèmes de " comptabilité ". C'est sans doute aussi pourquoi la pratique en amateur peut souvent voir s'épanouir des oeuvres artistiques bien plus majeures que les autres (Wassily Kandinsky, par exemple, inventeur de l'abstraction picturale, un des courants les plus révolutionnaires de l'histoire de la peinture, en s'inspirant d'ailleurs de sa pratique musicale, avait pourtant suivi des études de droit et d'économie et ne commença la peinture qu'à l'âge de trente ans).

Tout cela explique qu'il m'a toujours semblé surprenant que l'on puisse imposer un enseignement pratique de huit heures par jour dans certaines écoles spécialisées et comment les résultats et les progrès obtenus par leurs élèves pouvaient être si maigres. Ce type de méthode est à mon avis plus guidée par des questions mercantiles et justifiée par une vision fanatique et simpliste du travail, qui consiste à privilégier la quantité sur la qualité, ou à croire que l'on puisse obtenir les deux en même temps (" le beurre et l'argent du beurre " dit un proverbe).

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En fait, si on repense à la notion de qualité de concentration, et de prise de mauvais réflexes, il faut comprendre qu'il est naturel que l'esprit " étale " son attention, si on le sollicite pendant un grand nombre d'heures. Au contraire, une activité prévue et conscientisée comme courte, aura toutes les chances d'obtenir une qualité de concentration optimale, la plus susceptible d'engendrer un dépassement de ses capacités (car il ne s'agit pas de rentrer dans une routine engendrant la " stagnation " des capacités au lieu de leur amélioration). Il m'est même parfois arrivé de " vider " totalement ma capacité de concentration d'une journée entière en quelques minutes pour l'acquisition de concepts très nouveaux pour moi, comme les premières fois que je pratiquais l'indépendance avec la clave au pied gauche. Cette capacité de véritablement " concentrer " à l'extrême son activité mentale, est elle-même sujette à dépassement, grâce à une pratique assidue. D'où l'idée que l'on peut se dépasser dans sa capacité à se dépasser même. Mais cette amélioration est compensée par une difficulté de plus en plus accrue des obstacles à franchir, à mesure que l'on se rapproche de nos limites naturelles, physiques.

Cette attitude de travail demande beaucoup de volonté, surtout compte tenu du fait que nos sociétés " comptables " ont tendance à privilégier l'attitude inverse (paiement à l'heure et non à la pièce, de plus en plus généralisé par notre système industriel , " tayloriste "). Pour appuyer mon propos, pensez à la poésie, à l'escrime, à la recherche de formules scientifiques révolutionnaires ou au dessin chinois ou contemporain, comme pratiques " fulgurantes " sur le plan temporel, tout en gagnant en qualité grâce au concept d'efficacité. En art, c'est la notion de jugement, d'exception et d'unicité qui prédomine car il s'agit toujours de spectacle, où une foule regarde un individu, une oeuvre isolée. La notion de quantité perd ainsi encore plus son sens et sa raison d'être.

Pour terminer cette série de conseils afin de vous aidez à vous dépasser, notez que plus un concept sera différent et nouveau, moins il aura de points communs avec des exercices, gestes et formes connues, plus il sera difficile et long à acquérir (il m'a fallu un an de travail quotidien pour maîtriser parfaitement l'usage du rebond, du frisé ou de la frappe des doigts, par exemple). Beaucoup de percussionnistes ont réalisé une carrière entière avec la maîtrise d'un seul concept fondamental (le frisé, par exemple), décliné sous diverses formes (passages, dédoublement, accents, avec silences, etc.). Ceux qui en manient plusieurs témoignent donc d'un niveau de virtuosité (même racine que le mot " vertu ") bien supérieur. C'est pourquoi la polyvalence est un critère de qualité très reconnu, et à juste titre, pour un musicien en particulier, et un artiste en général.

Enfin, je terminerais ce chapitre en insistant sur le bien-fondé d'une pratique quotidienne, pour mettre à profit la récupération physique et mentale du sommeil (voir à " sommeil ").

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Marc de Douvan

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