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Petite réflexion philosophique sur l'art, la musique et mon expérience pratique personnelle de la musique, de la peinture et des percussions

Si j'ai tenu, alors que j'étudiais les Arts-Appliqués, a me consacrer à la pratique de la percussion et de la batterie d'abord comme loisir et en autodidacte, ce fut en premier lieu pour comprendre par l'expérience personnelle, ce que pouvait apporter une pratique musicale générée directement par le corps humain, au siècle des "boîtes à rythmes" et du synthétiseur. La composition, tant idolâtrée par les enseignants et les interprètes de la musique classique et moderne (voire contemporaine) occidentale, enseignée aux conservatoires de musique français, pouvait-elle suffire à exprimer le potentiel artistique de la musique, et, comme Socrate le pensais, n'être qu'une sorte de pendant esthétique à la recherche mathématique voire culturelle ou spirituelle (notion "d'inspiration" à caractère divin)?

A cela, au bout de près de 15 années d'étude et de pratique quotidienne, je peux aujourd'hui répondre par deux arguments majeurs en faveur de l'approche la plus totalement et directement issue d'un individu, pris dans toutes ses composantes.

Premièrement, loin de l'argument égoïste, trop souvent invoqué (aristotélicien, freudien et marxiste), qui voudrait que l'art en général ne soit qu'un "vulgaire" déversoir cathartique et thérapeutique (surtout pour ceux qui pensent que l'art est inutile en soi et pour qui il faut absolument trouver une "utilité" vulgaire et pragmatique aux choses, pour leur donner un sens et une raison d'être (en fait, pour satisfaire des fonctions et des instincts bas et médiocres de "l'animal" humain)), je vois dans l'approche la plus immédiatement humaine de la musique, une occasion presque unique de transposition de caractères individuels et humains en forme presque "numérisée". Cela fait de l'activité de la musique une sorte de lieu de manifestation voire d'étude unique et remarquable. Si l'on pose, par exemple comme contraintes fondamentales, les seules limites des performances d'un individu, après plusieurs années de pratique apparaissent des formes universelles dont la logique dépasse de loin les mathématiques et ont plus à faire avec la spécificité du rapport physique du musicien avec sont instrument de musique. C'est ce que l'on pourrait appeler une approche "artisanale" ou "virtuose", dans le sens où c'est le "corps" ici qui guide en grande partie l'esprit, sans recherche de théorisation.

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Or, aucun instrument n'est plus à même, à mon avis, de laisser parler tout le corps, avec le moins d'intermédiaire possible entre le son émis et le geste, que la batterie contemporaine (avec pédales) ou les percussions digitales. En d'autres termes, et en caricaturant un peu, plus l'instrument est "frustre", moins il substitue le travail et l'invention du facteur d'instrument à celui de l'interprète, dans l'émergence du "fait" musical (l'extrême inverse se trouve pour moi chez le "DJ", qui se contente de monter des morceaux entiers joués par d'autres que lui et gravés sur des disques). On pourrait alors penser que la voix, ou le fait de frapper dans les mains, pourrait constituer une réponse parfaite, mais dans ces cas, le corps entier n'est pas sollicité. Avec la percussion (et dans la percussion on peut aussi classer le "piano-forte" ou autres claviers ), on trouve un équilibre presque idéal pour permettre d'offrir au musicien, le maximum d'expression corporelle, sans minimiser l'expression mentale.

Je pourrais citer par exemple l'expression la plus totale de la main chez le conguero ou le joueur de djembé, dans le sens où chaque geste et changement infime de position de chaque doigt, que chaque partie de la main, influe sur le résultat musical, et pas seulement par un "filtre" spatial, qui fait que suivant l'endroit où l'on tape, on change de son de manière presque numérique ("gamme" sonore) comme pour une batterie électronique ou un clavier par exemple.

C'est aussi cette caractéristique qui rapproche tant le percussionniste du peintre (voir et écouter Daniel Humair ou Bertrand Renaudin).

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Deuxièmement, il me paraît sain voire vital, de favoriser l'approche complète d'une activité, avec ses composantes physiques, mentales, culturelles, morales, etc... Ma conviction est que nos sociétés modernistes "meurent" d'une croyance stupide et aveugle dans la supériorité de l'approche industrielle et sociale sur l'approche individuelle. La notion d'"honnête homme", "d'esprit sain dans un corps sain", ou autrement dit, "d'épanouissement personnel", n'est pas un concept galvaudé et désuet, car il permet de faire disparaître des facteurs limitant de l'évolution et de la compréhension du monde (de nous-même et de notre environnement, ainsi que du rapport entre les deux) grâce à la symbiose et non l'éclatement des différentes et multiples capacités humaines. C'est cette addition savante qui fabrique la spécificité de l'espèce humaine et qui a permis d'établir sa suprématie par rapport au reste du monde, et non comme le pensais à tord Descartes, la capacité de déduction logique seule, largement dépassée aujourd'hui par les "super machines calculatrices modernes" que sont les ordinateurs contemporains, qui restent néanmoins bien loin de la complexité et de la créativité du cerveau humain. Même si, comme le disait si bien Voltaire, l'homme est une espèce indigente dans tous les domaines si on la compare aux autres, hormis sur le plan de cette capacité logique, voire spirituelle, il ne doit pas être réduit à cette capacité, qui est malgré tout portée, guidée et démultipliée par toutes les autres capacités (qui ne sont souvent perçues que comme des traces encombrantes de toutes les étapes de l'évolution génétique des espèces).

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A l'ère des ordinateurs, avant-dernier stade de la conquête des machines, cette attitude est peut-être notre dernier rempart contre la substitution de la totalité des activités humaines par celui des machines (cette substitution n'est-elle pas la première cause fondamentale au problème du chômage, dans les sociétés techniquement développées, chômage dont on voit se manifester de plus en plus les effets autodestructeurs?). Le divorce moderniste et scientiste du corps et de l'esprit n'est-il pas symptomatique du divorce de l'espèce humaine toute entière avec la nature, dont on voit bien les conséquences écologiques désastreuses, depuis ces dernières décennies?

Cette conception de la musique est donc loin d'être anodine et sans conséquences, politiques, philosophique, voire vitales pour la pérennité de l'espèce humaine (dont aujourd'hui plus que jamais, on peut douter). Dans la musique comme dans les autres domaines de l'activité humaine, il me paraît plus qu'urgent de repenser notre foi aveugle dans la science et son progrès réel, dans le désir utopique de soumettre tout au pouvoir de l'esprit humain, et enfin, dans le bien fondé d'une recherche d'autorité absolue sur notre environnement, car cette autorité ne pourra être totalement consommée et ne s'exprimer que par la destruction, et n'est dans le fond guidée que par des instincts primaires négatifs (peur, possessivité, envie, jalousie, etc.). Beaucoup de sociétés, pourtant qualifiées de "primitives" par des esprits ignorants, colonisateurs et néo-colonisateurs imbus d'eux-mêmes et destructeurs, semblent avoir compris ces questions depuis bien longtemps, et il n'est pas étonnant d'y trouver des formes d'art si respectueuses de l'individu dans son entier, ainsi que de la nature qui nous porte tous, qu'on le veuille ou non.

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Marc de Douvan, 6 novembre 2005.

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